Pour clôturer ce mois de février, qui célèbre le Black History Month, j’ai eu le plaisir de recevoir Linelle dans un live sur Instagram, pour discuter du lien entre racisme et écologie.
Je ne vous cache pas que j’appréhendais un peu de prendre la parole sur ce sujet. Je ne suis pas une experte et j’ai la chance même de ne pas être victime de racisme. Pourtant ce n’est pas parce que je ne le côtoie pas directement qu’il n’existe pas. Il est bien là, et j’y participe indirectement lorsque mes déchets sont exportés loin de la France ou que j’achète un vêtement conçu avec des produits toxiques qui empoisonnent les travailleurs des usines des pays en développement. Il ne faut pas considérer la cause environnementale seule. Elle doit prendre en compte les questions sociales et c’est ce sur quoi portait ma discussion avec Linelle.
J’espère donc que ces infos vous donneront avant tout envie de vous informer vous aussi, de faire vos propres recherches et de construire votre propre réflexion. Pour écouter ma conversation avec Linelle, rendez-vous sur instagram.
Qu’est ce que le racisme environnemental ?
L’écologie c’est l’étude de la relation des êtres vivants (animaux, végétaux, micro-organismes) avec leur environnement, ainsi qu’avec les autres êtres vivants. Le racisme c’est une idéologie fondée sur la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains. (définitions Larousse)
Quand on étudie les deux mouvements, on se rend compte que les questions environnementales et de domination ne peuvent être dissociées. En effet, la destruction de la nature et l’oppression sociale sont deux résultats d’un même système injuste et qui doit être repensé.
Le racisme environnemental c’est donc l’ensemble des politiques environnementales qui ont des conséquences négatives sur certains groupes sociaux (explication de professeure Ingrid Waldron et Bullard – 2002). Ces groupes subissent plus fréquemment la proximité avec les industries polluantes. Le racisme environnemental c’est aussi le fait que les personnes racisées subissent en premier les conséquences du dérèglement climatique et des politiques environnementales (déchets, changement climatique, biodiversité, qualité de l’air…).
Exemples de racisme environnemental
Exportation des déchets
Quand on envoie nos déchets en Asie ou en Afrique (d’anciennes colonies françaises), c’est du racisme environnemental. Le ‘Global Waste trade‘ est un accord d’échange international de déchets. On les envoie à l’étranger pour qu’ils soient traités et recyclés, y compris les déchets dangereux et toxiques. En tant que citoyens, nous pensons bien faire en mettant nos déchets à recycler mais en réalité ils sont en partie envoyés dans des pays qui ne peuvent pas les traiter. Finalement, ces pays subissent l’impact de nos déchets qui sont jetés, enterrés ou brûlés, au lieu d’être recyclés créant ainsi de nombreux problèmes environnementaux et sanitaires pour les habitants.
Utilisation de pesticides
Quand on fait travailler des pays en voie de développement au contact de produits toxiques pour qu’ils puissent répondre à la forte demande des pays occidentaux, c’est du racisme environnemental.
Un des exemples les plus parlants est le scandale de la chlordécone aux Antilles. Pendant des décennies, l’insecticide chlordécone a été utilisé pour augmenter la production des bananes en réponse à la forte demande, alors que les risques liés à son utilisation était déjà connu. Cette surproduction a transformé les plantations en système de monoculture d’exportation et a intoxiqué la population antillaise (nombre de cancers élevés…). Dans son livre “Une écologie décoloniale”, Malcom Ferdinand (philosophe et chercheur au CNRS) explique que l’abolition de l’esclavage n’a pas changé notre rapport à la terre et que le système économique implique l’asservissement d’êtres humains sous d’autres formes.
L’abolition de l’esclavage n’a pas mis fin à « l’écologie coloniale ».
Malcom Ferninand
Et on a pas fini de lutter contre ce racisme environnemental puisque tout récemment, l’UE a autorisé l’exportation de plus de 80 000 tonnes de pesticides vers des pays en voie de développement.
Les neurotoxiques
Pour développer son savoir-faire en termes de nucléaire durant la colonisation, la France a réalisé des essais de bombes atomiques et d’armes chimiques dans ses colonies, principalement en Algérie et en Polynésie-Française qui souffrent encore aujourd’hui de cette pollution.
L’agent orange est un neurotoxique qui a été déversé par l’armée américaine sur les populations au Vietnam.
L’urbanisation
Les populations racisés seraient plus souvent en contact avec la pollution. Une étude de 2012 réalisée par Laurian et Funderburg a démontré qu’en France les populations d’immigrées et d’immigrés étaient plus susceptibles de vivre à proximité d’incinérateur à déchets, qui émet différents types de pollutions. C’est aussi un exemple d’injustice environnementale raciste en France.
En quoi lutter contre le racisme c’est aider la cause écologique ?
Les impacts du changement climatique et de la pollution ne sont pas ressentis de la même manière par tout le monde. Ainsi, ils renforcent les inégalités structurelles existantes. Les minorités, que ce soit les personnes racisées, les populations les plus pauvres ou même les femmes, se retrouvent souvent en première ligne des risques liés la crise climatique. Ce sont les premières victimes du réchauffement climatique.
Il est donc indispensable de tenir compte dans les luttes écologiques – dont celle pour la réduction des déchets et du gaspillage – des rapports de domination, dont le racisme systémique fait partie. On ne peut pas lutter contre le changement climatique sans remettre en cause les inégalités et injustices raciales.
Au sein même des mouvements écologistes, les personnes racisées sont moins bien représentées. Or, l’écologie ne doit pas être réservée à aux classes les plus privilégiées de la population. Surtout quand elle met en lumière les inégalités : les européens, par exemple, utilisent 20% de la biocapacité de la terre alors qu’ils ne représentent que 7% de la population mondiale.
“Il faut décoloniser l’écologie”.
Pour Malcom Ferdinand, l’écologie décoloniale est primordiale. En effet, l’écologie associe la préservation des équilibres écosystémiques de la Terre à la remise en cause des inégalités héritées de la constitution coloniale du monde.
Vers une explosion des “migrations climatiques”
Le changement climatique créera plus de migration que n’importe quel autre événement dans les années à venir. D’ici 2050, 143 millions de personnes pourraient bientôt devenir des réfugiés climatiques. Des populations entières seront contraintes de quitter leur région en raison des conséquences directes du changement climatique. Ces conséquences peuvent être diverses : inondations, sécheresses intenses, cyclones, etc.
Comment remédier au racisme environnemental ?
Ne sous-estimons pas l’importance des petits gestes
C’est bien beau tout ça, mais concrètement, on fait quoi ? Difficile de se projeter pour essayer de modifier un système mis en place depuis des dizaines années à l’autre bout du monde. Pourtant, avec Linelle, on a envie de croire à la puissance des éco-gestes. Les exploitations antillaises ont eu recours au chlordécone pour répondre à la forte demande de bananes. Et ce n’est qu’un exemple de l’impact de notre surconsommation et de notre mode de vie. À nous de consommer de manière plus raisonnée et responsable. Privilégions les produits de saisons et locaux. Réduisons nos déchets ménagers au maximum pour qu’ils ne soient plus envoyés à l’autre bout du monde. Refusons l’utilisation de pesticides et de produits toxiques. Arrêtons d’acheter des articles de mode ou des téléphones fabriqués par les usines qui exploitent les Ouïghours…
Eduquer nos enfants
Nos enfants sont les citoyens de demain. À nous de leur montrer l’exemple en respectant l’environnement dans lequel nous vivons. Respecter son habitat, c’est aussi respecter les autres.
Si vous avez des enfants, multipliez les activités pour le sensibiliser à la protection de notre environnement et au respect d’autrui. Jardinez. Lisez leur des livres sur les animaux. Apprenez leur à ne pas jeter et à apprécier les trésors de la vie et de la nature.
S’informer, en parler, sensibiliser
En réponse au racisme environnemental, on parle aussi de justice environnementale ou d’écologie décoloniale. Ces deux termes ont les mêmes objectifs. Ils permettent de prendre conscience du lien entre l’écologie et le racisme (issu de la pensée coloniale occidentale) et de proposer des mesures pour remédier au racisme environnemental.
Vous l’aurez compris, comprendre le lien entre racisme et écologie est essentiel pour les deux causes. Il est important de s’informer aussi bien sur l’écologie que sur notre histoire coloniale commune. Nous sommes tous citoyens et citoyennes de la même Terre, d’un même écosystème. Or, si nous ne voyons pas encore les conséquences du réchauffement climatiques, d’autres personnes dans des zones à risques les subissent déjà.
Pour aller plus loin
Instagram :
- Décolonisons-nous : @decolonisonsnous
- Les activistes @canoubis et @asmaeha_
- Collectif en soutien aux victimes de l’agent orange : @collectifvietnamdioxine
Livre :
- Une écologie décoloniale de Malcom Ferdinand
Podcasts :
- Ecologie décoloniale et racisme environnemental (Episode 3) – Le Festival des Solidarités
- Penser une écologie décoloniale, une écologie du monde – Afrotopiques
Merci à Linelle pour ces recherches ! Retrouvez Linelle sur instagram @linelle.rime
Sources :
- Article : “« L’abolition de l’esclavage n’a pas mis fin à l’écologie coloniale » – Bastamag
- Rapport : Pesticides interdits : plus de 80’000 tonnes exportées depuis l’UE, dont un tiers par Syngenta – Public Eye
- Article : “Écologie des pauvres, écologie des riches : quand les inégalités sont aussi environnementales” – Bastamag
- Article : L’écologie décoloniale: la nécessité de décoloniser l’écologie – Mediapart
- Video : Où nos déchets terminent-ils ? – Brut
- Article : Il faut décoloniser l’écologie – Reporterre